lundi 24 novembre 2025

Comme s'il en pleuvait


Sur le corps et le rêve

S'ouvrent cent mille plaies

Sans vergogne et sans trêve

Comme s'il en pleuvait


La couleur tremble et bouge

À fleur de nos peaux, mais...

Partout le sang est rouge

Comme s'il en pleuvait


Des remparts dérisoires

Contre tout s'élevaient

Et le Temps et l'Histoire

Comme s'il en pleuvait


Cent miroirs au regard

Torve et toujours de biais

En mille éclats épars

Comme s'il en pleuvait


Il n'y a qu'un seul corps

Que s'arrachent un rabais

D'esprits faibles ou forts

Comme s'il en pleuvait


Car partout la matière

Est seule à dire vrai

Face à tant d'yeux ouverts

Comme s'il en pleuvait


Un seul peuple, une seule race

Sous ce Soleil difforme et laid

Trime dans sa propre crasse

Comme s'il en pleuvait


Une seule planète

Verra la vie d'après

Et l'or criblée de dettes

Comme s'il en pleuvait



mardi 28 octobre 2025

mercredi 22 octobre 2025

"Catarina" : représentations en novembre et décembre

 La compagnie La Porte Entr’Ouverte propose 6 représentations de Catarina et la beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues les 14 & 15 novembre 2025 à 20h30, 16 novembre à 15h30 ainsi que les 12 & 13 décembre à 20h30, 14 décembre à 15h30 dans la salle des Échassons de Longpont-sur-Orge.




Résumé : Cette famille tue des fascistes. Chaque année, elle se réunit pour en tuer un. C’est une tradition qui dure depuis plus de soixante-dix ans : chaque membre de la famille doit en passer par là afin d’honorer Catarina Eufémia, icône de la résistance à la dictature de Salazar. Aujourd’hui, c’est à l’une des plus jeunes de tuer son premier fasciste, kidnappé pour l’occasion. Ce devrait être une belle journée. Mais Catarina est incapable d’appuyer sur la détente. Elle doute. Un conflit éclate alors dans la famille. Et si tuer n’était pas un acte de résistance mais un simple crime ? Peut-on lutter avec violence pour un monde meilleur ?

Nous vous prions de confirmer votre présence en retour de mail ou par SMS (06.20.85.05.98) en indiquant la date souhaitée. Nous ouvrirons les portes 15 minutes avant le début du spectacle pour permettre une bonne installation de chacun. Le billet d’entrée est libre, c’est vous qui choisissez le montant qui vous semble le plus juste, selon vos moyens. Un verre de l’amitié clôturera chaque représentation.

Informations pratiques :

Salle des Échassons (accessible aux personnes handicapées) : rue André Chermette, 91310 LONGPONT-SUR-ORGE ; parking à proximité immédiate.

> Durée de la représentation : 1h45.

mardi 21 octobre 2025

Octobre rose


 
Une explication est peut-être nécessaire ici : 
j'ai fait ce dessin en réaction à la manière dont 
les personnes chargées d'animer le mois 
"Octobre rose" dans l'espace public 
proposent en général une vision rose-bonbon 
du cancer du sein, avec une imagerie de 
midinette bien peu en phase 
avec la réalité de cette maladie. 
Je sais que dans notre société spectaculaire 
tout doit être présenté de manière positiviteuse
(oui, ce néologisme est volontaire)
jusqu'à la nausée, mais en l'occurrence, 
j'ai pu constater la colère que cette communication 
infantilisante suscitait chez ma compagne, qui 
se bat depuis bientôt deux ans contre un crabe
qui s'est logé dans sa poitrine. 
C'est très bien d'inciter les femmes à se faire dépister
(même si en pratique une victime sur 10 
de ce type de cancer est un homme) 
mais la manière dont notre culture capitaliste
anglo-saxonne transforme tout en spectacle sportif
y compris des réalités douloureuses et endeuillées
a suscité chez moi une colère par procuration que 
j'ai voulu exprimer ici.

Le cancer du sein c'est avant tout
des personnes qui disparaissent
ou qui restent en sursis.

J'ai encore peur de perdre mon épouse 
et la mère de mon enfant alors gardez
pour vous ces rubans roses.


lundi 20 octobre 2025

Trois nouvelles dates pour "La psychose de 4h48" de Sarah Kane

 



S'inscrire auprès de :

v.hochedez@coeuressonne.fr pour Longpont-sur-Orge 
v.plitta@coeuressonne.fr pour Leuville-sur-Orge 

mardi 7 octobre 2025

La Folle de Toyach : résumé de la partie du 30/08/25 (Terre Seconde)

     Ce qui suit est une évocation du déroulé de la partie du jeu de rôle Terre Seconde (www.terre-seconde.org) du 30 août dernier, dans le cadre de la campagne "Face au crépuscule des Dieux". Cela s'adresse essentiellement aux joueurs de la table. 



À Toyach, l'eau de pluie a un goût de poison avant de toucher le sol.


À Toyach, des enfants se battent pour des lambeaux de chair humaine.


À Toyach, il y a des maisons aux toits de toile, bâties sur les ruines d'ancien palais.


À Toyach, la Squale nage dans l'air qu'on respire.


À Toyach, on parle peu mais on aboie souvent.


À Toyach, on ne sourit jamais.


À Toyach, on brûle les suies des autres pour se chauffer.


À Toyach, les Murides hantent le dédale obscur des caves inondées. Ils volent les armes des enfants-démons qui contrôlent Dazor. Ils volent les voleurs et mangent les tueurs.


Et même à Toyach, elle est considérée comme Folle. Sous l'échoppe de Valrus le Fripier, elle tient ses quartiers étendus, plus étendus que la taille de la cave où ils se trouvent, car elle se joue des dimensions démoniaques.


Dans son miroir sphérique se bousculent plusieurs reflets, dont chacun a sa propre vision. Celui qui voit le présent aime à l'interpeller quotidiennement:


-Te souviens-tu d'Okayan Svarogitch Gordel?


-Oui, je crois... répond la Folle. Un étudiant du verbe draconien.


-Entré à la Traverse quand tu y finissais ta dernière année.


-Crâne cosaque et ongles longs?


-Fils cadet de la famille Gordel.


-Gordel... Petits hobereaux sans envergure mais nombreux?


-D'autant plus que celui-là est double aujourd'hui.


-Double?


-Okayan l'étudiant a été transporté au temps d'Okayan le Maître.


-Tiens donc? Il pourra se confronter à ses propres espoirs de jeunesse. Grisante opportunité!


-Aimerais-tu vivre la même chose?


-Revoir cette petite sotte? Six yeux de l'Enchanteresse, non! Qu'elle retourne à son époque faire toutes ses erreurs. Je les ai bien vécues, moi! Sans elles, qui sait où je serais aujourd'hui?


-Justement, c'est ce qu'ils vont te demander.


-Ramener Okayan le Jeune à son époque? En suis-je capable?


-Tu le sais très bien. Ne joue pas avec toi.


-Alors ils me cherchent?


-Ils sont déjà entrés à Toyach, guidés par Garashka... mais les Murides les ont fait fuir.


-Les Zorribles?


-Il n'y a que les enfants qui les appellent ainsi.


-Justement!


Comme pour donner de l'épaisseur à cette dernière répartie, la Folle commence à fredonner une comptine des enfants de Toyach :


Dieu du carnage

Dieu des ravages

Dieu des orages


Finalement

Ici-devant

Tu n'es vraiment


Qu'un dieu en cage

Dieu du verbiage  

Sans nul message


Z'ont les sans-toits

Ni peur de toi

Ni peur du Roi


Ni peur des Zvols

Ni des Magols

Juste la Folle


Puis elle ajouta : 

-On dirait que la comptine dit vrai : les Zorribles ont défié les Zvols s'ils ont attaqué Garashka. 

-D'autant qu'elle est morte dans le combat. 

-Vraiment? Pauvre fille, si mignonne... 

-Le Kanat va vous crever, saloperies! Zavez pas le droit! Je ne veux pas devenir une ombre!

-Ses dernières paroles? Qu'a-t-elle dit d'autre sur Toyach.

-Elle a parlé de l'Arbre aux Yeux et dit que les Zorri... les Murides étaient devenus ces "petits fantômes" ou "gens des caves" en en dévorant les fruits, poussés par la faim. 

-Crois-tu que les voyageurs reviendront? 

-Okayan a déjà payé : le cristal d'Onenhia a été gravé et enchanté pour être indestructible. 

-Mais le Guide du Labyrinthe ne le porte pas, ce qui signifie que sa part spirituelle est inaccessible et ne peut être repérée par Orqina, la chamane ember qui le recherche pour venger Sorok le Chaman-Empereur... mais également qu'il ne peut plus méditer ou mentir. Etrange concours de circonstances, mais il faut reconnaître leur pugnacité. 






jeudi 2 octobre 2025

La nébuleuse du cafard

 

Ton rire me crache au visage
Tes mots se cassent comme des doigts
Crois-tu vraiment être la Loi
Sans nulle raison en partage?
 
Garde ta bienveillance haineuse
Hors de nos vies, hors de ma vue,
Garde pour toi ta main tendue
Et l'air de ta tête creuse.
 
J'écrase entre mes doigts sanglants
La page où s'écrivent vos noms
Car je n'accorde aucun pardon
Quand on s'en prend à mon enfant.
 
Ma famille multicolore
Voit d'un regard bleu en miroir
Dans la nuit de ses grands yeux noirs
Sous ses paupières, quand il dort.

mercredi 27 août 2025

Seule est permanente la destruction : résumé de la partie du 20/06/25 (Terre Seconde)

     Ce qui suit est une évocation du déroulé de la partie du jeu de rôle Terre Seconde (www.terre-seconde.org) du 20 juin dernier, dans le cadre de la campagne "L'œuf du serpent de verre". Cela s'adresse essentiellement aux joueurs de la table. 


Extrait de la Chanson de Geste "Les Cinq Preux et la Cour des Damnés" :


Aux chimères du désert, non sans heurts,

Avaient survécu nos cinq voyageurs

Pour trouver le Tombeau du Janissaire,

Auquel aspirait leur coeur téméraire.

Car, si aux légendes s'en souvient bien,

Tchassovoï, le capitaine krovien,

Y gardait les secrets de son savoir :

Éveiller et contrôler les pouvoirs  

Des sang-mêlés et leur avoir transmis

L'usage du pentacle de l'esprit. 


Lors au seuil du sépulcre s'y trouva

L'enfant-démon libéré des Jaya,

Mais qui de Maïgora était natif :

Dragan à l'oeil torve et à l'esprit vif.

Devenu mage de l'Opritchnina,

Le fol sans hésitation leur narra

Qu'il y avait cherché nouvelle science

Pour de Chakra remédier à l'absence,

Que sur ses murs de bois étaient gravés

Du Roi Gilgamesh l'antique épopée. 


Ceci intéressa fort nos amis

Car, sur le corps d'un Opritchnik occis,

Ils avaient certaine lettre trouvée,

Signée de Chemislava l'assoiffée,

Du Tsar maudit seconde âme damnée.

La vampire écrivait qu'étaient cachées

Dans les versets de la geste antique,

Tous les secrets d'une étrange chronique

Par Devins de Znakhark-Krov rédigée,

Contant l'avenir et non le passé.


Ayant tout vu de ces temps troublés, 

Ces scribes y révélaient l'identité,

De ces corps humains servant d'épilogue

Aux scions de Bïelobog et Tchernobog.

Dragan parla tout autant aux héros

De fleurs et de fabuleux animaux,

De simples et d'enivrants champignons

Issus des jardins des enfants démons,

Jusqu'à ce que le Vïédoun le tuât

Car de ses Dieux il voulait le trépas.


Son histoire éclaira nos voyageurs :

Égaré dix-huit jours à l'intérieur

Du sépulcre, il avait eu tout le temps

D'en saisir structure et agencement.

Tel la Nef du Déluge, le Tombeau

Comportait six ponts et donc sept niveaux.

Ses longs murs imbus d'antique magie

Y découpaient neuf demeures, ainsi

S'offraient aux âmes vivantes et mortes

Soixante-trois salles, autant de portes.


Ils franchirent la première au hasard :

La porte de l'hirondelle qui part... 

Au centre d'un dédale ils affrontèrent

Trois tigres d'une furieuse colère. 

Une devise au sol on y lisait,

Celle des Kroviens perdus à jamais

Par les ténèbres et leur corruption:

"Seule est permanente la destruction"

Terrible mais vain avertissement

En ce lieu enseveli par les vents.


Oyez céans la singulière histoire 

Du labyrinthe et des quatre miroirs

Grand ouverts sur le passé de l'Empire :

L'un sur une carrière dont s'enfuirent

Maints esclaves meurtris par des démons,

Sur moult grimoires s'ouvrait le second,

Sur une simple rue le troisième,

Et sur les grands jardins d'or le quatrième. 

Les ayant franchis ils en ressortirent,

Et à l'ombre du Tombeau s'endormirent.

 

À l'aurore suivante, ils affrontèrent

Des alchimistes et leurs mercenaires,

En caravane partie d'Aïva 

Aux eaux de Tchernaïa Vaïna

Afin d'y vendre six jeunes captives.

Le Tombeau abritant un puits d'eau vive

En ce désert froid où le malheur frappe,

Il leur était prévu d'y faire étape. 

Lors ces marchands de chair et de labour

Se retrouvèrent captifs à leur tour.

mercredi 30 juillet 2025

À ceux qui me demandent si je crois en Dieu

 

Depuis que le cancer s'est invité dans nos vies, des gens que nous connaissons à peine se permettent de nous poser une question fort incongrue : ils nous demandent si nous croyons en Dieu. 
 
Puisque j'atteins la cinquantaine cette année, je puis grommeler que de mon temps on ne se permettait pas d'interroger qui que ce fût à ce sujet, car c'est une question privée, voire intime ou ça devrait l'être, dans une société censément laïque. 
 
Je n'ai jamais harcelé ou même seulement interrogé quiconque au sujet de ses croyances car cela ne me regarde tout simplement pas. 
 
Je n'ai jamais discriminé, agressé, verbalement ou autrement, quiconque en raison de tel ou tel accoutrement ou signe apparent de religiosité quelconque. 
 
Je n'ai jamais tenté de convaincre qui que ce soit de renoncer à ses croyances. 
 
Mais certains se croient autorisés à questionner ma croyance, à savoir l'athéisme. 
 
Franchement, j'ai aussi peu envie d'en savoir sur les convictions de tout un chacun que sur leurs préférences sexuelles. Ce n'est certes pas écrit sur mon front mais tout de même, si je m'apprête à poser une question intime à quelqu'un, j'ai la prévenance de lui demander son accord avant, par exemple avec un "Je peux vous poser une question personnelle?".
 
Le plus beau fut lorsque l'une de ces personnes si curieuses de mes convictions métaphysiques, après que j'eus répondu par la négative, me dit d'un ton docte avec la bouche en cœur : "Ah c'est parce que vous n'avez pas encore vécu de choses assez dures"...
 
Auparavant sans doute eussé-je tout simplement passé outre, mais l'expérience de bientôt deux années passées dans l'urgence permanente d'une course contre un destin relativement poissard (certes, il y a bien pire, nous ne sommes pas Gazaouis) m'a rendu beaucoup moins tolérant face aux emmerdeurs.
 
 
Ô croyants ! Taisez-vous !
Gardez la foi en vous
Comme un secret honteux,
Car s’il existe un dieu,
Il ne mérite alors
Que mépris et la mort.

dimanche 6 juillet 2025

Une mort certaine : résumé de la partie du 27/06/25 (Terre Seconde)

    Ce qui suit est une évocation du déroulé de la partie du jeu de rôle Terre Seconde (www.terre-seconde.org) du 27 juin dernier, dans le cadre de la campagne "Face au crépuscule des Dieux". Cela s'adresse essentiellement aux joueurs de la table. 


  En trois cents ans d'existence, Ælfweard n'avait jamais foulé la terre sombre de la Châtaigneraie. En pénétrant dans ce lieu maudit, si important pour les lignées sélénites nées sur Terre, il ne put s'abstraire d'un profond sentiment de malaise.


  C'était ici qu'avait commencé la lutte fratricide que la langue sacrée désignait comme la Slahta, soit littéralement le bain de sang, mais que la langue commune appelait pudiquement Guerre d'Albenheim. 

  Sous les épaisses frondaisons de cette forêt abandonnée aux démons était née la formidable discorde qui avait divisé le peuple tombé sur Terre en lignées rivales, voire ennemies, redoublant ainsi la souffrance du premier bannissement par un second, où les descendants des Sélénites déchus s'étaient dispersés à la surface de cette planète bruyante, voire jusque dans ses tréfonds les plus inaccessibles.

  C'était ici même qu'il devait retrouver une amie de longue date, une parfaite inconnue lui inspirant une vague méfiance et une ennemie mortelle.

  Étrange conclave où se parleraient à travers quatre mortels des Dieux accoutumés à s'ignorer ou se haïr. Mais être prêtre impliquait parfois d'agir imprudemment, de sortir des sentiers battus en suivant les énigmatiques révélations de la foi. Sa simple présence était un acte spirituel, dont toute la portée lui échappait encore.

  Il en ressentit d'autant plus l'importance en voyant se dresser devant lui, au centre d'une vaste clairière, seul endroit dégagé de la Châtaigneraie, l'autel de pierre blanche où la déesse morte Lyl tranchait elle-même la langue des menteurs, lorsqu'on y tenait vehme. À présent brisé en plusieurs morceaux et recouvert de végétation, il en imposait encore, peut-être par les irrégularités qui le recouvraient et qui avaient jadis été des runes soigneusement gravées, narrant les volontés de l'austère et impartiale déesse de la justice.

  Car même les Dieux peuvent mourir. Lyl était morte depuis longtemps et de ses cendres était née Lilyom, l'abominable et cruelle contrefaçon démoniaque que vénéraient les Mraka.

  De fait, si Ælfweard était venu en ce lieu damné à tout jamais,  c'était au sujet d'une autre divinité trépassée.

  -Ælfweard Wandlere du Clan Sceadu, Hiérophante du Roi Daïn, dit une voix familière employant la langue commune, sois le bienvenu!

  -Que les Dieux du Jour et de la Nuit te protègent, ô Raÿwel, Sœur de la Pleine Lune, répondit Ælfweard à la silhouette vêtue de blanc qui venait à sa rencontre.

  C'était par respect pour son amie qu'il avait omis le nom de sa famille et de son clan. Les prêtresses de Nör Vollmond enseignaient qu'il fallait surmonter les appartenances familiales et claniques pour rendre au peuple sélénite son unité, ou à défaut un semblant de coexistence pacifique. Si elles se désignaient elles-mêmes comme Filles de la Pleine Lune, Raÿwel incarnant comme lui la plus haute autorité sacerdotale de son culte, elle avait droit au titre de Sœur.

  En revanche, comment s'adresser aux deux autres femmes qui apparurent à ses côtés? Deux Vaurmalben, à en juger par leur peau livide, presque bleutée, et leurs longs cheveux en cascade, blancs comme la neige. Malgré la pénombre qui régnait dans la Châtaigneraie, l'une des deux avaient les yeux mi-clos, plissés comme si la luminosité fragile du lieu étaient encore trop vive pour elle : cela devait être la Mraka, fraîchement arrivée des profondeurs tortueuses du Monde Chtonien, telle un démon sorti des ténèbres, aveuglé par l'éclat du jour.

  -Je suis Snegling Ferranalh iz Nazada, dit-elle à son tour, sans rien ajouter.

  À voir le diadème arachnéen placé sur son front au-dessus de ses yeux couleur d'émeraude - un trait rare chez les siens - il était inutile en effet d'en dire plus. Ælfweard avait l'étrange privilège de voir côte à côte une prêtresse de Nör Vollmond et une sectataire de Lilyom, l'abomination chtonienne vénérée par les Vaurmalben qui se désignaient eux-mêmes comme Mraka, soit appartenant aux ténèbres dans le parler des démons. Les deux ennemies semblaient tolérer fort bien la présence l'une de l'autre. Quelle époque! songea le prêtre.  

  Ferranalh ou, en vieux-sélénite, éloignés : ce nom témoignait d'un lignage très ancien, datant sans doute du bannissement des Vaurmalben. Iz Nazada signifiait qu'elle venait de Sto-Lïet-Nazad, la toute première des cités souterraines fondées par les Mraka et de loin la plus puissante de celles-ci.

  Les prêtresses de Lilyom n'avaient nulle hiérarchie officielle entre elles, car elles prétendaient priviléger une sorte d'anarchie perpétuelle où les plus fanatiques domineraient sans cesses. Mais une matricienne d'un tel rang avait nécessairement une position dominante au sein de sa caste. À sa manière, elle était bien une contrepartie de Raÿwel et lui.  

  Il se tourna vers la quatrième personne, qui s'inclina respectueusement : une frêle jeune fille qui, en dépit de son apparence chtonienne, n'avait rien de commun avec Snegling. Bien que Vaurmalbe elle aussi, elle n'avait nulle gêne à garder ses yeux grand ouverts en surface, était aussi réservée que Snegling était arrogante, aussi discrètement vêtue que Snegling était luxueusement accoutrée, aussi souriante que Snegling était hautaine.

  -Varghona est la plus jeune prêtresse de Nör Neumond, expliqua doucement Raÿwel. Il a paru à nos consœurs de la Nouvelle Lune qu'elle serait plus la plus indiquée pour discuter de ce qui nous occupe.

  -C'est à elle que sont apparus les Sternwanderer, précisa Snegling, d'un ton faussement indifférent.

  La Mraka devait considérablement  prendre sur elle pour feindre ne fût-ce que cette indifférence hostile à l'égard de sa congénère. La branche démoniaque des Vaurmalben et la branche de la Nouvelle Lune se vouaient une haine tenace, car les premiers considéraient les seconds comme des traîtres et les seconds avaient fui le Monde Chtonien pour les nuits sans Lune.

  Seul point commun des quatre participants à ce conclave : tous considéraient ce lieu comme essentiel et sacré, même si chacun avait sa propre histoire à narrer. Ælfweard savait que même Raÿwel et lui ne tomberaient pas d'accord sur les événements qui avaient conduit au Slahta, en dépit de l'amitié qui les liait. Deux Hochalben et deux Vaurmalben pour discuter d'une seule chose :  

  -J'imagine que les Sternwanderer ont confirmé les visions apparues à la surface des eaux lunaires ou dans le chatoiement des rayons de Lune, commença enfin le prêtre.

  -Le Dieu du Temps et des Étoiles est mort, confirma Varghona, en baissant la tête.

  Même Snegling l'imita, tant cette nouvelle était inconcevable à une oreille sélénite. Delling, le tout premier dieu de leurs lointains ancêtres, celui-là même qui les abreuva à l'eau de la source Mimir pour leur faire don de jeunesse éternelle, avait été réduit à néant. Ses serviteurs immortels, les Sternwanderer, façonnés pour la magie antique à partir des plus fidèles des Diseurs-de-Lune, erraient désormais sans but.

  -Eux qui protégeaient l'ultime éclat du Dieu, expliqua Raÿwel, ils n'existent plus que pour narrer sa fin.

  -L'ultime éclat... répéta Ælfweard, dans un murmure. Étrange euphémisme, pour ce qui n'était que l'ultime parcelle d'un daÿmonion très ancien.

  Daÿmonion : le simple mot les fit tresaillir, car il inspirait la peur chez la plupart des lettrés ayant étudié la magie, sous quelque forme que ce fût. Un Daÿmonion était ce qui faisait de n'importe quel mortel un démiurge capable de vouer l'univers à sa perte... ou une divinité.

  Telle était la magie antique, avant la Sanction d'Épersonaï : incontrôlable, infinie et chaotique comme le brasier dans lequel étaient nés la Matière et le Temps. Par trois fois, elle avait conduit l'univers à sa perte. Rares et universellement haïs étaient ses ultimes praticiens.

  -C'est vrai, reprit Raÿwel. Après avoir perdu la foi de son peuple, le Dieu fut réduit à son essence première, celle qui ne dépendait nullement de notre fidélité, ce qu'il avait été aux premiers rayons du Cinquième Soleil  : un démiurge.

  -De ce reliquat il ne restait presque rien, précisa Varghona. D'après les Sternwanderer, ils ne gardaient plus qu'un lambeau du Daÿmonion.

  -Presque rien? ricana Snegling. Ce presque rien a réduit à néant en une fraction de seconde ceux qui ont profané le Manihus!

  -Plus précisément leurs contreparties futures, invoquées par le Skukar, insista poliment Varghona. Le Skukar est ce miroir par lequel on peut faire venir un double venu de notre propre avenir. Les profanateurs sont encore vivants.

  -Jusqu'à ce temps futur où ils seront appelés, objecta Ælfweard. Savent-ils seulement quand?

  -Peut-être, murmura Varghona. Même les Sternwanderer n'ont rien pu me dire à ce sujet. Eux n'ont jamais utilisé le Skukar, évidemment. Ils périront... mais à savoir quand?

  -J'aimerais dire que seul Delling le sait, mais... ajouta Snegling, toujours d'un ton amer et sarcastique. Enfin, d'une certaine manière n'est-ce pas mieux ainsi? Ce vestige de la magie antique est enfin réduit à néant.

  Les trois autres Sélénites ne purent qu'acquiescer. Mais il était également indéniable que...

  -Cela n'en reste pas moins une profanation de l'un de nos Dieux, rappela Raÿwel, d'une voix douce. Un crime qui ne peut rester impuni.

  Qu'elle, la plus pacifique, la plus amène d'entre eux le dît si clairement imposa immédiatement le silence aux trois autres. Quelques jours plus tôt, aucun d'entre eux ne savait où se trouvait le Manihus ni même qu'il existât, en tant que tombeau du Dieu. À présent, tout était différent. Dans cette lourde expectative où l'on n'entendait que la rumeur sourde des spectres et démons furtifs qui hantaient  la Châtaigneraie, la voix sereine ou impitoyable de Raÿwel reprit :

  -Un crime commis de main sélénite.

  -Quoi? s'écria le prêtre. Impossible! Qui oserait -

  -Un Sonnenalbe.

  Ælfweard marqua un temps d'arrêt, avant de reprendre, toujours incrédule :

  -Ils ont renoncé à nos Dieux, soit, mais de là à...

 -Un Sonnenalbe de la pire espèce, précisa Varghona, un sectataire des Innommables.

  -Un Aptem, confirma Snegling.

 -Décidément, le Pays Clos de Khôme n'engendre que l'horreur... soupira Ælfweard en se laissant tomber sur un tronc d'arbre couché, convaincu malgré lui.

 -Là où le ciel est enchaîné au sol, seules la haine et la folie peuvent s'épanouir, acquiesça Raÿwel.

 -Les Sternwanderer frapperont-ils? demanda Snegling à Varghona, se forçant à la regarder.

 -Je l'ignore, répondit la tout jeune prêtresse. Il se trouve que deux Mondalben font partie des profanateurs. Eux ont perdu le don de Delling et ont plus que quiconque sans doute le désir de
se venger de l'Aptem.

 -Quelle ironie! s'écria Ælfweard, ne sachant s'il devait vraiment s'étonner que deux Mondalben aient participé à telle infamie. Ils ont perdu le don en même temps que le Dieu. Mais crois-tu leur
colère assez forte?

 -Pour l'un d'entre eux en tous cas. Il croyait être le Zaltrag, l'élu qui réincarnerait le Daÿmonion et redeviendrait le Dieu Sombre du Temps... et peut-être l'était-il, nous ne le saurons jamais.  

 -Là se trouve justement le noeud de sa colère, dit Snegling.

 -Alors, que décidons-nous? demanda finalement Raÿwel.