jeudi 9 juin 2022

De l'identité française (seconde version)


Que répondre honnêtement à une question en apparence simple, et pourtant fort complexe : qu'est-ce que l'identité française?

Aujourd'hui, c'est un slogan. C'est aussi un concept fort vague, car j'ai écouté bien des définitions concurrentes, de la part de ceux qui prétendent la circonscrire à tel ou tel moment de notre Histoire, mais c'est avant tout un slogan. Certains identistes, identelés, identiteurs ou je ne sais... prétendent même fonder toute une pensée politique sur ces sables mouvants.

L'on entend également invoquer notre identité nationale comme prétexte à bien des fantaisies étranges, comme par exemple reprocher à quelqu’un son prénom…  sachant bien évidemment que chacun d’entre nous choisit son prénom… avant sa naissance même, pourquoi pas?

Tout aussi désopilant, l’on a pu entendre qu’être français c’était déguster du foie gras et du vin rouge sous un sapin de Noël, à croire que je ne suis français qu’un jour par an. Le vin et le foie gras trouvent leur racines dans la lointaine antiquité, avant même que la France existe nommément… Quant au sapin de Noël, c’est une coutume allemande, introduite en France au XIXème siècle. Est-ce à dire qu’il n’y avait pas de français dignes de ce nom avant cette période?

D'autres humoristes sont en lice, pour gloser savamment sur le sujet. L'identité française serait par exemple, indécrottablement catholique. Voyez nos cathédrales! Après quelques épisodes glorieux de notre Histoire, tels que la Saint-Barthélémy, la révocation de l'Édit de Nantes et Vichy, le nettoyage des substrats non-catholiques a bien failli réussir. Bon an mal an, nous serions tous les heureux enfants de la Fille Aînée de l'Église. Il y a de quoi être fier, en effet.

Attention, cependant! Le fait d'être catholique ne suffit point, loin s'en faut! Si vous êtes un brésilien ou un ivoirien catholique au teint caramel, vous ne pourrez jamais espérer devenir français un jour pour autant, car être français, ce serait aussi être blanc. Être blanc, me direz-vous, qu'est-ce exactement?

Depuis que la génétique nous apprend que nous sommes à peu près tous des bâtards avec des contributions d'un peu partout, et que des blonds platine peuvent avoir 20% de gènes d'origine bronzée, il y a de quoi être quelque peu perturbé, côté blancheur. À partir de combien de café dans mon lait je suis blanc? Pas une goutte, dites-vous? En ce cas, il y a bien peu de blancs dans le monde, et certainement aucun en France, j'en ai peur.

Mais soit, être blanc ou noir c'est un peu comme la pornographie: on ne sait pas bien définir ce que c'est mais on peut toujours le reconnaître en le voyant! Si les couleurs trop vives ne vous vont pas, c'est que vous êtes blanc. Donc, la France est blanche, catholique... et homophobe aussi, au passage. La preuve? Mais notre Histoire, boudiou!

Nos Roys de France, n'étaient-ils pas tous blancs? Catholiques? Homophobes? Certes, un certain bon roy Henri a changé trois fois de religion et s'est pragmatiquement fait catholique pour obtenir l'assentiment des Parisiens. Certes, quelques-uns de nos monarques avaient quelques tendances... Mais enfin, ne pinaillons pas.

Les Français ont si longtemps été blancs (renonçons à Alexandre Dumas, à Aimé Césaire, aux Antilles, à la Réunion...), catholiques (à une ou deux guerres de religions et une Shoah manquée près...) et homophobes (on ne sait pas vraiment mais allez hop, ça ne mange pas de pain), qu'il est trop tard pour changer, maintenant.

Las! Je ne suis pas convaincu par cette approche.

Car si je l'adopte, je ne puis m'empêcher d'imaginer un guerrier franc de notre cher Clovis, au moment du baptême de celui-ci, lui expliquant que l'identité franque est indécrottablement païenne et blonde et qu'il refuse d'adopter cette religion moyen-orientale associée à un prophète plus ou moins rebeu! C'est ballot, n'est-ce pas?

D'ailleurs certains de nos chers identitaires, identitaristes, indentés, identêtés...  estiment que le christianisme est une sorte de complot judéo-maçonnique et que nos racines françaises sont absolument païennes, justement. Avouez qu'il y a de quoi s'y perdre, quand tant de gens s'improvisent hiérophantes d'une déesse Identité et lui prêtent tant de visages différents.

Jugez de mon désarroi! Car enfin, la question me taraudait : quelle vérité se cache donc derrière le vocable si aisément galvaudé d'identité française? Pour commencer ma quête, j'ai donc commencé comme l'ont fait tant de gens avant moi: par notre Histoire.

Si l'on entend parfois que notre beau pays a dix siècles d'existence, faisant de lui la plus vieille nation d'Europe, c'est parce que la France serait née au IXème siècle avec le Traité de Verdun,  séparant l'Empire de Charlemagne entre ses trois descendants : Charles, Louis et Lothaire. Le nôtre, c'est Charles, à qui échoit la "Francie", la part occidentale de l'Empire. Son frère Louis recevra la partie orientale et sera appelé "le Germanique". Mais attendez, attendez! C'est qu'il s'en est passé des trucs, avant!

Oublions que les Européens descendent manifestement déjà d'un métissage entre (au moins) Sapiens, Néandertal et Cro-Magnon, que le Sapiens était déjà un migrant arrivé d'Afrique.

Repartons de nos ancêtres les Gaulois, celtes, moustachus et métalleux (cheveux longs et bons forgerons). Jules César en parle, mais des auteurs grecs comme Diodore de Sicile ou Apollonios de Rhodes parlent déjà des Gaulois. Avant d'être vaincus par les Romains, les Gaulois ont mis Rome à sac, volé l'or sacré de Delphes et seraient même allés jusqu'en Asie, dans l'actuelle Turquie. Difficile d'imaginer que nos touristes celtiques n'aient pas ramené quelques donzelles avec eux.

Par souci de simplicité, parlons surtout des Grecs, qui ont fondé quelques-unes de nos villes en Provence, comme Nice, Marseille, Monaco (allez quoi, c'est quasiment français, non?). Quelques-uns des très rares exemples de langue gauloise écrite l'ont été en alphabet grec et c'est de ces marchands et colons hellènes que nous viendrait la technologie du vin, associée assez viscéralement à notre identité, paraît-il.


Quand la Gaule est soumise par Rome, elle a donc quatre siècles d'échanges avec les Grecs derrière elle. Nous sommes donc des Gallo-Grecs.

Après c'est Rome, et notre fameuse identité Gallo-Romaine...

Gallo-Gréco-Romaine, donc? D'autant que les Romains eux-mêmes étaient fortement hellénisés. En tous cas, le Pont du Gard, les fondements de notre droit, notre alphabet, notre langue, nos chiffres... ah non, pardon, ces derniers sont arabes! Boulette! Tout ça nous vient de Romains fortement influencés par les Grecs, sachant que nous étions déjà les meilleurs producteurs de vin de la Méditerranée grâce à ceux-ci.

Ces Gallo-Gréco-Romains ont eu d'ailleurs eu un Empereur reunoi : Septime Sévère, dont la femme était assyrienne, donc assimilée reubeu. Il y a une fresque qui le représente assez peu blanc, carrément marron, même. Ces deux-là ont d'ailleurs donné la dynastie dite des Sévériens, qui a régné sur l'Empire un certain temps. Les Romains étaient apparemment plus branchés assimilation culturelle et espace commercial commun que couleur de peau. Mais passons!

Donc, nos Gallo-Gréco-Romains ne sont pas encore catholiques, ni même chrétiens, mais ils sont déjà salement métissés. Là-dessus arrive l'Empereur Constantin, la christianisation, tout ça... et nos Gallo-Gréco-Romains se convertissent à une religion moyen-orientale, issue du judaïsme. Ils deviennent des Judéo-Gallo-Gréco-Romains, sur le plan religieux et culturel.

Il y a aussi les Huns d'Attila, venus d'Asie Centrale, des niacoués de la pire espèce. Ils dévastent la Gaule à plusieurs reprises et il paraît que si les femmes bretonnes ont un problème de dysplasie de la hanche, c'est de là que ça vient. Vu que je tiens à être rigoureux, je pense qu'on peut dès lors parler de Mongolo-Judéo-Gallo-Gréco-Romains.

Là-dessus, patatras! Poussés au cul par les Slaves, les Germains arrivent : Wisigoths, Ostrogoths, Alamans, Burgondes, Lombards... Francs. Ben oui, si nous sommes français et non gaulois, c'est parce que nos rois, jusque très tard, vont revendiquer leur appartenance à la race franque, donc germanique. La fameuse loi salique, invoquée pour refuser au Roy d'Angleterre toute prétention sur le trône de France dix siècles plus tard, sera tirée des lois des Francs Saliens, une sous-catégorie de nos ancêtres.

Le coup dur : l'Empire Romain d'Occident s'effondre et toute l'Europe occidentale tombe sous la coupe des Boches. Mais, bon, ce ne sont pas encore ceux de 14-18 ou de 39-45 et  cette fois, nous assimilons nos vainqueurs, qui finissent par adopter notre religion et notre langue.

Mais le fameux Charlemagne ne parlait pas le français, ni même le vieux françois, mais le francique, soit un dialecte germanique. Ach so! Sa capitale, Aix-la-Chapelle, est dans l'Allemagne actuelle. Tiens au fait: Allemands, Alamans... Si Clovis avait perdu sa bataille contre les Alamans, c'est peut-être nous qui serions les "Allemands" aujourd'hui.

Donc, au moment du Traité de Verdun, nous sommes des Germanico-Mongolo-Judéo-Gallo-Gréco-Romains... Oups! J'allais oublier un petit bonhomme marrant, que nos identistes adorent : Charles Martel, Maire du Palais. Un bon gars du peuple, qui pillait les églises pour financer ses campagnes militaires (côté catho du coup...bof?), se battait au marteau (mais pas à la faucille, rassurez-vous) et qui a arrêté les Arabes à... à Poitiers.

Ah ouais. Poitiers. Bien au centre. Pour un Marseillais, c'est déjà le grand nord. Parce qu'il faut vous dire que les Arabes ont déjà conquis l'Espagne wisigothique à l'époque, et y resteront jusqu'au XVème siècle. Je dis les Arabes, mais là aussi c'est une armée de bâtards qui vient envahir notre pays déjà six fois métissé : Arabes, Nord-Africains, Espagnols, Portugais... Bref, mais au moins ce sont des... des... des... des Musulmans! Ça y est, on les tient!

L'invasion islamique de la France a eu lieu... en 732.

Remarquez que ce n'est pas comme si ils avaient immédiatement repassé les Pyrénées après leur cuisante défaite. Nos djihadistes de l'époque vont rester 30 ans à Carcassonne, par exemple. Donc même si nos Germanico-Mongolo-Judéo-Gallo-Gréco-Romains sont censés être blancs, on peut légitimement supposer que ces envahisseurs ont fait comme les autres : ils ne se la sont pas mise derrière l'oreille.


Nous voilà un tantinet Germanico-Mongolo-Judéo-Gallo-Gréco-Romains-Reubeux.

Donc au moment de la fondation de la Doulce Francie, à Verdun, nous avons déjà subi quatre invasions, des touristes grecs et une conversion massive à une religion étrangère. À ce stade, en partant de Germanico-Mongolo-Judéo-Gallo-Gréco-Romains-Reubeux, je ne vous cacherai pas que pour évoquer, dix siècles plus tard, une idée de race française pure... c'est pas gagné.


Ensuite, ce n'est pas fini, c'est même là que ça se Corse, si j'ose dire.

Côté invasions, ça va un peu se calmer. D'accord : les Vikings vont s'installer en Normandie, les Rosbifs vont faire le pied de grue chez nous un peu plus de cent ans, les Espingouins vont régulièrement ravager la Picardie (oui, la Belgique a longtemps été espagnole).

Mais dans l'ensemble, c'est plutôt nous qui allons envahir que l'inverse. De ce fait, la Francie de l'époque de Charles est plutôt pitchoune, par rapport à celle d'aujourd'hui. Je ne vous parle pas de la Guyane ou de la Nouvelle-Calédonie, mais de la Bretagne, du Pays Basque, du Dauphiné, de la Franche-Comté, de la Provence, de l'Occitanie, de l'Alsace, de la Corse... Tout ça, c'est hors de la Francie!

Mais nos bons Roys ont besoin d'espace et petit à petit, la Francie devient France, elle s'étend, englobant des gens qui ne parlent pas la même langue, des gens pas de chez nous, des gens pas comme nous.

Mais des catholiques! Ou des chrétiens, au moins. Bon, pas les Normands au début mais ils vont y venir. D'autres vont être un peu hérétiques, comme les Cathares.

Enfin, la France de Napoléon, celle qui va faire trembler l'Europe, elle est composée de Germanico-Mongolo-Judéo-Gallo-Gréco-Romains-Reubeux-Scandinaves, qui ont déjà trois religions différentes et ont eu une grosse période de mode italienne (pas l'Italie de la Vespa ou de Prada mais celle de la Renaissance et de la Banque), ont appris à compter et redécouvert la médecine antique avec les Arabes et les Perses.

Les migrants qui vont venir après sont plus sympas : ils sont pacifiques. Au lieu de massacrer, piller, violer et soumettre, ils viennent bosser et profiter des allocs, même s'il n'y en a pas encore.

Polaks, Ritals, Portos d'abord, puis Africains (rebeux et reunoix), sans compter le péril jaune venu de notre Indochine perdue, des mecs avec des cheveux crêpés et un orgue électronique, l'horreur quoi... ah non, pardon, c'est l'autre Indochine, celle des gars qui sont venus installer des rizières en Camargue. Il y avait aussi les Chinois de la rue Montgallet à Paris. Il n'y a pas is longtemps que ça, ils réparaient ton ordi pour pas trop cher. Et puis il y a des Russes, des Roumains, des Tamouls...


Alors voilà, je fais le compte, et l'évidence m'étreint.

Mon beau pays, la France, est une nation de bâtards.

Notre identité, c'est d'être un mélange.

Parce que des mecs venus d'ailleurs, bien plus méchants que ceux qui se présentent aujourd'hui à nos frontières, nous en avons vu passer!

Je ne crois pas que nos identelés paramilitaires en bombers auraient arrêté les Huns d'Attila, les légions romaines, les Vikings ou même les Arabes à Poitiers. Eux qui ont manifestement beaucoup de mal à distinguer immigration et invasion, je crois qu'un petit voyage dans le passé leur ferait le plus grand bien... et qu'ils y restent, si possible.


Bref, nous sommes toujours là.

Malgré les invasions, la France n'a pas cessé d'exister. Devrait-elle avoir peur de simples migrations? Malgré l'adversité, elle s'est enrichie de ces confrontations avec le monde extérieur, qu'elles aient été pacifiques ou violentes. Ce n'est pas un lieu commun, c'est un fait historique.

Être fier d'être français, c'est être fier d'être une personne métissée, ethniquement et culturellement.