mercredi 23 octobre 2013

Le jour où j'ai compris Roger

Hubert-Valentin de la Boursidière est d'extrême-droite.
Pour lui c'est naturel, on peut même dire qu'il est tombé dans la potion fasciste quand il était petit. Sa famille appartient depuis des temps immémoriaux à la classe dominante et il est naturel qu'il défende cette position de toutes ses forces.
Il est fier de ses aïeux qui jadis luttèrent contre la Gueuse en s'engageant dans l'armée autrichienne, il considère que le Maréchal est un héros incompris qui a sauvé la France du désastre dans lequel l'avait placé le Front Populaire enjuivé.
Il a accepté le drapeau tricolore depuis qu'il l'a vu entre les mains des soldats qui écrasèrent la Commune, mais il n'oublie pas le Roy, l'Église, la Tradition, la Race Franque dont il descend et la Race Gallo-Romaine qui est à la racine du peuple françois. Jusqu'ici tout est normal.

Régine Labordage-Duvison est d'extrême-droite.
Ce n'est pas qu'elle soit xénophobe. Non : si on la laissait faire les
frontières seraient grandes ouvertes pour accueillir une main-d'œuvre
plus disciplinée et plus affable que le Français si râleur et si privilégié.
Après tout si le spectre rampant du néo-crypto-marxisme n'avait pas
revêtu les oripeaux du keynésianisme l'immigration ne serait pas ce
qu'elle est parce que la France et le Burkina Faso offriraient le même
niveau de protection sociale.
Elle se moque bien du mariage homosexuel, de la religion catholique
ou de la Race Française, mais elle est d'extrême-droite depuis que Le Pen
s'est déclaré reaganien. Après tout Thatcher l'a dit dans une de ses lettres
de soutien à Pinochet : vous pouvez mener à bien la nécessaire libéralisation de l'économie grâce à vos escadrons de la mort, moi je serai toujours empêtrée dans les institutions britanniques. Régine veut bien jouer le jeu de la démocratie, mais jusqu'à un certain point. Si la démocratie s'approche un peu trop près du grisbi... tant pis pour elle. Les citoyens n'ont qu'à bien se tenir.
Pour en finir avec l'assistanat, la grève, les syndicats un peu trop chahuteurs, les minima sociaux, le service public, il faut quitter cette démocratie malade pour que les capitaines d'industrie comme elle puissent mener le monde vers une totale liberté de pensée cosmique dans un nouvel âge réminiscent. Elle protège sa fortune présente et future contre l'impôt, contre la redistribution des richesses... contre le vol en somme!
Jusqu'ici encore tout est normal, je comprends bien.

Raoul Fettucini-Fernandez-da Oliveira-Abdelkader-Kopulinksi est d'extrême-droite. Ses parents ou ses grands-parents sont jadis arrivés en France mais eux ont respecté les règles du jeu. Ils ont respecté les lois. Ils ont travaillé. Pas comme les jeunes de maintenant. Des bledards malpropres auxquels il ne veut surtout pas être assimilé.
Raoul est convaincu d'être riche. L'impôt sur les grandes fortunes lui donne des sueurs froides. Du haut de son bar PMU, de son pavillon de banlieue
et de sa caravane aux vitres fumées il sait qu'il appartient au gratin, à l'élite, à ceux qui dans la vie ne se font pas avoir, et Dieu sait s'il mérite chaque centime de son patrimoine!
Il est prêt à défendre corps et âme le droit à être riche et à en profiter, parce que si les bolcheviques viennent saisir le troisième yacht de Mme Labordage-Duvison ils viendront certainement saisir aussi sa caravane. Et d'ailleurs l'impôt en général le met en rogne parce que c'est déjà du bolchevisme : sa vaste fortune il ne la doit qu'à lui seul. Il n'a aucune idée du fait que son patrimoine amassé à la sueur de son front toute sa vie durant représente à peu près une semaine de dépenses courantes de Régine sus-mentionnée. 
Mais là je comprends encore à peu près.

Bébert le Troll est d'extrême-droite.
D'abord ce qu'il aime là-dedans c'est le groupe, la saine camaraderie, les crânes rasés, les muscles saillants et les aisselles épilées de ses petits camarades du groupe Unité Patriote Anarcho-Monarchiste pour la Libération Nationale et la Régénération du Peuple. Ils étaient cinq le mois dernier, ils sont dix ce mois-ci, le pouvoir est à portée de main!
Et puis ce qu'il aime aussi là-dedans c'est comment tout ce qu'il n'aime
pas devient un ennemi à détruire : les gauchistes à guitare, les noirs
qui branchent des petites blondes... et les blancs qui branchent des petites
blondes aussi d'ailleurs, du moment que ce n'est pas lui, et tant qu'à faire
toutes les femmes qui ne veulent pas de lui, les homos au cas où ils voudraient de lui et parce qu'ils détournent l'amitié virile qui lui fait tant de bien, les radars, les nanotechnologies, les basanés, les musulmans, les bridés, les Roms, les livres, les profs, les juifs, le permis à point, les Impressionnistes, les...
bref tout ça quoi. Si vous lui rappelez que le métal qu'il écoute vient du rock, soit une "musique de nègres" il vous pète les genoux, c'est bien la preuve qu'il a raison.
Enfin il n'est plus seul, il a trouvé sa place dans l'univers et toutes les
questions sans réponses ont disparu. D'un seul coup il appartient à une
élite sans poils et sans complexes, lui qui était jusqu'alors le dindon de la farce.
Là encore j'arrive à comprendre.

Roger Lapoisse est d'extrême-droite.
Il est chômeur. Il ne paie pas d'impôts.
Il a tout intérêt à la redistribution des richesses.
Il n'a plus l'âge de l'activisme biérophile de Bébert et
de toutes manières la politique le dégoûte. Tous des pourris.
Il vit dans un ghetto de banlieue où ils sont à peu près tous
comme lui, dirigé par des truands de toutes les couleurs et de toutes les
origines. Pourtant il est raciste et n'a que mépris pour ses
voisins et il a pris le parti de ceux qui n'ont que mépris
pour les gens de son acabit.

Et c'est là que je ne comprends plus.

Je sais : la trahison de la gauche fait le lit du fascisme,
le manque d'instruction, le chômage, les boucs émissaires...
Je sais tout ça. Mais je crois qu'il y a autre chose.
Quelque chose que partagent Roger, Bébert, Raoul, Régine et
Hubert-Valentin.

Au fond ce que tous ces gens-là ont en commun c'est une seule
conviction : nous ne sommes pas tous pareils. Nous n'avons
pas tous la même valeur. C'est cette idée anti-humaniste toute
simple qui fonde leur idéologie. Et c'est ce qui me permet de
comprendre Roger.

Roger est aux derniers échelons de la société. Alors comment
concilie-t-il son idéologie élitiste avec son statut? Et bien
parce qu'il est blanc justement : au moins ça on ne peut pas
le lui enlever. Là au moins il n'a rien à prouver, et ça le
place naturellement au-dessus de la racaille bronzée.
Hitler n'a-t-il pas dit que son objectif ultime était de
créer un monde où il serait plus prestigieux d'être balayeur
en étant citoyen du Reich que roi d'un pays étranger?

Fichtre, quel soulagement! Roger est ainsi sûr lui aussi d'appartenir
au gratin, à sa manière... Et vous autres espèces d'humanistes
dégoulinants de sensiblerie vous venez lui expliquer que nous
sommes tous égaux?

À ceux qui se demandent comment le nazisme a pu avoir lieu
je puis enfin répondre qu'à l'origine on ne trouve pas la haine,
ni la nostalgie du passé, ni la religion... ni aucune de ces
billevesées.

On trouve une carabistouille beaucoup plus universelle et beaucoup plus
répandue : celle de tracer des lignes invisibles entre les êtres
humains, que ce soit entre ethnies, sexe, orientation sexuelle,
cultures... Le cauchemar commence avec "ça c'est bien un truc de
mec/nana" ou encore "ils sont hypocrites/voleurs/misogynes...
c'est dans leur culture". Si jamais un jour c'est à moi qu'on vient
péter les genoux je saurai que c'est à ce genre de stéréotype
en apparence inoffensif que je le devrai.

dimanche 6 octobre 2013

vendredi 4 octobre 2013