-À la lecture de votre CV, je vois qu'entre votre doctorat de neurobiologie et votre contrat de recherche de cinq ans au Forschungsinstitut Trukemberg für Neurobiologie, vous avez été vendeur chez Quick pendant six mois. Pourriez-vous m'expliquer comment cela s'insère dans votre projet professionnel?
-Eh bien, c'était une manière pour moi de développer mon relationnel dans un contexte que j'ai volontairement choisi très éloigné de mon milieu socio-professionnel, afin d'acquérir une vision transverse et de relever de nouveaux défis...
La réponse honnête serait évidemment : "Ça ne s'insère pas, un peu comme la réalité des choses dans ta cervelle atrophiée. Faut bien croûter et payer son loyer, virgule connard/connasse". Naturellement, tout conseiller Pôle Emploi hurlerait d'horreur face à un CV ainsi rédigé, et recommanderait de remplacer ces six mois par un pipeau quelconque, une formation, une grossesse... voire par rien du tout.
Pourquoi? Parce que non seulement on attend de vous que vous ayez un projet professionnel, mais aussi et surtout que chaque étape de votre carrière soit une manière de réaliser ledit projet. Vous n'avez donc pas le droit à l'erreur ni à la malchance. Vous devez impérativement apparaître comme un individu dont le parcours est un sans faute. En bref, vous devez pouvoir affirmer ce qui sera un mensonge dans la plupart des cas : "À chaque moment de ma vie, j'étais exactement là où je voulais être."
Ce dégradant exercice en hypocrisie ne serait qu'un des nombreux avatars du déficit permanent d'emplois qui fait de moult d'entre nous de serviles et abjects quémandeurs, s'il ne déteignait sur la vie courante, par exemple de la manière suivante :
-Que fais-tu dans la vie?
-Je m'occupe de la comptabilité d'une entreprise d'import-export en trombones et agrafeuses... C'est passionnant!
Remarquez que la première personne n'a pas demandé si c'était passionnant, et croyez-moi, la réponse est rarement sarcastique.
-Je suis célibataire en ce moment. Ça fait du bien de temps en temps!
... vous dit la personne qui chasse désespérément sur Mythique, et là encore, vous n'avez point demandé si cet état était ou non plaisant, mais en l'affirmant, la personne se convainc de la réalité de cette assertion. Bref, même hors du contexte professionnel, les gens vont vous présenter chaque élément de leur existence comme le résultat d'une évolution choisie et assumée, qui ne devra rien au hasard ou à la volonté d'autrui. Là encore, vous vous devez d'apparaître comme une personne qui réussit tout ce qu'elle entreprend et n'est jamais victime d'injustice ou de malchance. Là encore, vous devez dire : "Je suis exactement là où je veux être. Ma vie est une réussite sans faille."
Est-ce à dire qu'il faille gérer sa vie personnelle comme sa vie professionnelle? Avec la même dose d'hypocrisie et de soumission à des rituels ineptes? Un divorce ressemblant déjà fort à un licenciement, faudra-t-il s'armer d'un CV "romantique" pour rencontrer l'âme soeur, avec un volet "compétences" et un autre "expérience"? Faudra-t-il choisir ses passe-temps et passions en fonction de leur impact sur autrui? Faire de la moto, de la photographie ou de la guitare est sans doute plus "vendeur" que la philatélie.
À l'instar du dépressif qui ne cesse de rabâcher ses erreurs et ses malchances comme s'il était engagé dans un perpétuel procès de lui-même, voilà l'oppressif, qui vous impose sa vision fantasmée d'une vie parfaite. Faites-lui plaisir : expliquez à quel point votre propre vie n'est qu'une succession d'échecs lamentables. C'est en quelque sorte son antidépresseur.
-Eh bien, c'était une manière pour moi de développer mon relationnel dans un contexte que j'ai volontairement choisi très éloigné de mon milieu socio-professionnel, afin d'acquérir une vision transverse et de relever de nouveaux défis...
La réponse honnête serait évidemment : "Ça ne s'insère pas, un peu comme la réalité des choses dans ta cervelle atrophiée. Faut bien croûter et payer son loyer, virgule connard/connasse". Naturellement, tout conseiller Pôle Emploi hurlerait d'horreur face à un CV ainsi rédigé, et recommanderait de remplacer ces six mois par un pipeau quelconque, une formation, une grossesse... voire par rien du tout.
Pourquoi? Parce que non seulement on attend de vous que vous ayez un projet professionnel, mais aussi et surtout que chaque étape de votre carrière soit une manière de réaliser ledit projet. Vous n'avez donc pas le droit à l'erreur ni à la malchance. Vous devez impérativement apparaître comme un individu dont le parcours est un sans faute. En bref, vous devez pouvoir affirmer ce qui sera un mensonge dans la plupart des cas : "À chaque moment de ma vie, j'étais exactement là où je voulais être."
Ce dégradant exercice en hypocrisie ne serait qu'un des nombreux avatars du déficit permanent d'emplois qui fait de moult d'entre nous de serviles et abjects quémandeurs, s'il ne déteignait sur la vie courante, par exemple de la manière suivante :
-Que fais-tu dans la vie?
-Je m'occupe de la comptabilité d'une entreprise d'import-export en trombones et agrafeuses... C'est passionnant!
Remarquez que la première personne n'a pas demandé si c'était passionnant, et croyez-moi, la réponse est rarement sarcastique.
-Je suis célibataire en ce moment. Ça fait du bien de temps en temps!
... vous dit la personne qui chasse désespérément sur Mythique, et là encore, vous n'avez point demandé si cet état était ou non plaisant, mais en l'affirmant, la personne se convainc de la réalité de cette assertion. Bref, même hors du contexte professionnel, les gens vont vous présenter chaque élément de leur existence comme le résultat d'une évolution choisie et assumée, qui ne devra rien au hasard ou à la volonté d'autrui. Là encore, vous vous devez d'apparaître comme une personne qui réussit tout ce qu'elle entreprend et n'est jamais victime d'injustice ou de malchance. Là encore, vous devez dire : "Je suis exactement là où je veux être. Ma vie est une réussite sans faille."
Est-ce à dire qu'il faille gérer sa vie personnelle comme sa vie professionnelle? Avec la même dose d'hypocrisie et de soumission à des rituels ineptes? Un divorce ressemblant déjà fort à un licenciement, faudra-t-il s'armer d'un CV "romantique" pour rencontrer l'âme soeur, avec un volet "compétences" et un autre "expérience"? Faudra-t-il choisir ses passe-temps et passions en fonction de leur impact sur autrui? Faire de la moto, de la photographie ou de la guitare est sans doute plus "vendeur" que la philatélie.
À l'instar du dépressif qui ne cesse de rabâcher ses erreurs et ses malchances comme s'il était engagé dans un perpétuel procès de lui-même, voilà l'oppressif, qui vous impose sa vision fantasmée d'une vie parfaite. Faites-lui plaisir : expliquez à quel point votre propre vie n'est qu'une succession d'échecs lamentables. C'est en quelque sorte son antidépresseur.