Le texte qui suit est un court résumé de la partie du jeu de rôle Terre Seconde (www.terreseconde.fr) du 30 juillet dernier, dans le cadre de la campagne "Les damnés du roi-vampire". Il s'adresse essentiellement aux joueurs de la table.
La noce était enfin terminée. Dehors, les Strigoï de la Garde de Fer achevaient les agapes à leur manière... L'aube allait bientôt se lever mais Ovidia de Stelelor ne voulut pas tout de suite retrouver la torpeur qui imitait si bien le sommeil, moins les songes.
La veille, son époux le Voievod Dinu de Stelelor avait accompli le rite des épousailles pour unir la fille de Domnul Puscas à son promis, avant de s'éclipser, sans doute pour aller implorer le pardon du dieu crucifié, comme si son âme à tout jamais damnée était encore à portée du salut divin.
Lors de l'Ultime Souper, Ovidia avait bu comme lui au calice tendu par Sa Majesté, mais elle l'avait fait sans y être contrainte. Elle était entrée bravement dans la nouvelle ère et la chapelle du château n'était plus pour elle qu'un lieu quelconque, encombré des symboles absurdes de l'ancienne foi.
Mais pour Dinu, c'était une sorte de boudoir triste, consacré à l'auto-flagellation où il pleurait devant les icônes, versant d'inutiles larmes de sang devant l'image ce celui qu'il considérait encore comme le Sauveur. Elle avait souvent menacé mettre le feu à cette chapelle, sans jamais oser le faire.
Il était là, évidemment, torse nu et couvert de son propre sang, à genoux et les bras en croix devant une icône de la Vierge. Il se releva en reconnaissant son pas. Elle brandit sous ses eux les deux dagues en argent que les bouffons de la veille lui avaient remises :
-Regarde! Ce sont les dagues d'Igord.
Mais Dinu ne montra aucun étonnement, et pour cause :
-Je sais, ils m'en ont montré deux autres hier soir, quand tu perdais ton temps dans ces noces turpides, parodie macabre d'un sacrement.
Ovidia ne lui ferait pas le plaisir d'avoir l'air décontenancée, aussi reprit-elle aussitôt :
-Ils m'ont servi un conte absurde au sujet de je ne sais quel complot... Mais ces dagues sont bien celles d'Igord de Câmpie!
Parmi les Voievods du Pays Maudit, Igord de Câmpie était connu pour son amour des poisons et ses dons d'alchimiste. Ses dagues en argent liées au Dracul faisaient sa fierté et étaient connues de tous... et n'imaginait pas cette meute de branquignoles capable de les lui dérober!
-Je sais, poursuivit Dinu. Ils ont dit avoir reçu ces dagues dans leur sommeil, en même temps que la
Maladie du Roi Ixiom.
-Ils en sont porteurs?
-Quatre d'entre eux, en tous cas. Assez proches de muter, d'ailleurs. J'ai entamé la peau de l'un d'entre eux d'une simple estafilade et l'oeil rouge du parasite est aussitôt apparu sous la peau. Leur salut serait dans le retable de la Basilique Saint-Vladimir.
Ovidia et Dinu échangèrent un regard exprimant pour une fois la même émotion : ce retable indestructible, qui réapparaissait toujours dans la Basilique en ruines, lieu où jadis les Rois de la Dacia Felix se faisaient couronner, avant la malédiction, malgré tous les efforts des uns et des autres pour le détruire ou le déplacer, était pour tous les Voievods et même pour le Roi une terrifiante énigme. Imbu de la magie du dieu crucifié, il semblait être l'indestructible souvenir de l'ancienne foi et pourtant, il était aussi indissolublement lié au Dracul.
-Je les envoie demain sous bonne garde à Aghast, reprit Ovidia. Ils m'ont demandé d'eux-mêmes une escorte, les imbéciles! Je ne me suis guère fait prier.
-Oh non, répliqua Dinu. Ils sont partis cette nuit, par les égoûts. Ils doivent être loin, maintenant.
Voilà pourquoi il n'avait montré aucune surprise! Ovidia maîtrisa l'envie qui lui venait de coller le visage de son époux contre les icônes qu'il chérissait tant mais dont le contact le consumait. Dinu la considérait avec cette triste indifférence, ce qui était son humeur quasi-permanente depuis plus d'un siècle maintenant.
-Tu les as mis en garde contre moi, j'imagine? Et c'est la petite Ramona qui leur a indiqué comment sortir de Mare Frigă par les égoûts?
-Elle leur a même donné une lanterne, acquiesça Dinu, pourtant sans la moindre nuance de défi dans la voix.
-J'imagine aussi que tu leur as aussi parlé du Dracul et de son lien à ces dagues? soupira Ovidia.
-Bien entendu, répondit Dinu. Je leur ai parlé du Dracul ou de l'Hôte ou de l'Ancêtre... peu importe le nom qu'on lui donne, du dragon mystérieux que Raluc est parti chercher dans l'archipel des Vermili et dont nous fûmes condamnés à boire le sang. Je leur ai même dit qu'il était alors guidé par la noble intention de protéger son royaume sans avoir à faire couler le sang des vivants. Je leur ai même révélé le nom de l'Hôte : Suryavarman.
Ovidia ne put masquer un rictus en entendant ce nom qui en parler-dragon signifiait "protégé du Soleil", mais poursuivit d'un ton anodin :
-Bah, cela devait leur être familier, non? Ils sont vermiliens d'après leurs dires. Ils connaissent forcément l'Île impériale infestée de revenants et la nécropole de Douaït, l'ancienne cité de la dynastie des Draco qui régna sur leur pays. Ils devaient seulement ignorer que l'Hôte n'est plus dans la nécropole et que son pouvoir a été transporté jusqu'ici par Sa Majesté...
-Dieu seul sait comment, conclut Dinu avec un sourire narquois.
Ovidia ne répondit rien mais sur ce point son époux avait raison : nul ne savait comment le jeune Prince Raluc Scarabaë, alors fringuant jeune homme au seuil de la vie, avait... rapporté - faute d'un meilleur terme - avec lui des Vermili l'Hôte et son pouvoir, pour initier son règne, long maintenant de plus d'un siècle.
Mais nul ne pouvait contester la présence de l'Hôte dans la terre du Pays Maudit.
Partout et parfois même au-delà des frontières du Pays Maudit s'ouvraient ces passages souterrains vers ce monde intermédiaire entre le monde des morts et des vivants. Le peuple l'appelait Iadul, c'est-à-dire "l'Enfer". On murmurait que descendre ces escaliers qui apparaissaient n'importe quand et n'importe où, souvent sous les maisons du Pays Maudit mais parfois en pleine forêt, c'était en fait marcher sur le corps de l'Hôte. "Iadul este Dracul şi Dracul este Iadul" disait-on: "l'Enfer est le Dragon et le Dragon est l'Enfer".
Ovidia tourna les talons, décidée à envoyer la Garde de Fer aux trousses de ces mauvais drôles que son époux semblait vouloir aider. Il fallait faire vite, avant qu'ils atteignent les Munţii Capuşeni, où les bergers réfractaires à l'autorité seigneuriale et surtout cette maudite Roxana, sa propre fille, avait trouvé refuge, car elle se doutait que Dinu lui avait envoyé ses nouveaux protégés. Eh bien elle enverrait leur fils, Darius, à leur poursuite, puisque lui au moins tenait d'elle plutôt que de son couard de mari!
Laissé à sa solitude mélancolique, Dinu songea à ce que ces visiteurs inattendus lui avaient demandé : comment libérer le Pays Maudit? Comment détruire Suryavarman, le dragon mort? Il les avait appelés "enfants du dragon mort", car ceux d'entre eux qui portaient la maladie du Roi Ixiom se transformeraient bientôt et transmettraient à leur tour la malédiction, faisant ample moisson d'âmes pour le dragon mort.
Détruire le dragon mort : folle espérance! S'ils parvenaient à échapper à la maladie, ce serait déjà un exploit unique en son genre.
Détruire le dragon mort... détruire Suryavarman... ou au contraire lui rendre sa raison d'être initiale. Dinu était en effet persuadé que ce nom "protégé du Soleil" faisait écho à Amon-Râ, le dieu solaire des Rame n'Khoume. Suryavarman devait être tout autre chose à l'origine : un rêve devenu cauchemar, un espoir devenu maléfice.
Mais après tout ils étaient vermiliens et les Rame n'Khoume avaient fondé une cité libre sur l'archipel des Vermili : An-Akhbou. S'il ressortaient vivants du Pays Maudit, peut-être trouveraient-ils là-bas, auprès des prêtres d'Amon-Râ, réponse à cette question.
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