mercredi 4 juillet 2012

En finir avec les créateurs

L'accomplissement de soi passe par la passion créatrice, ou l'assouvissement de l'instinct créatif. La création n'est pas forcément artistique ou littéraire, elle peut être scientifique, sociale, politique, religieuse etc... Le poète est étymologiquement celui qui fait, celui qui agit, sans limitation du domaine dans lequel il agit. 


L'être humain doit apprendre l'indépendance mentale, c'est-à-dire à aménager un domaine de son existence qui soit indépendant du bon vouloir de son environnement. Tel Candide, chaque être humain doit cultiver son jardin intérieur et son interaction subtile avec le monde extérieur.


Van Gogh n'a jamais eu besoin de vendre ses toiles pour peindre, car l'instinct créateur s'exprimait en lui par la peinture et non par le succès. D'autres se nourriront au contraire de ce succès, et en cela l'accomplissement de leur instinct créateur deviendra dépendant de leur environnement, ce que j'appelle une déviation de l'instinct créateur.


Élever des enfants ou enseigner est un exemple d'accomplissement d'une passion créatrice, il devient une déviation dès l'instant ou il dérive en une volonté de contrôler l'évolution de l'enfant et sa destinée au-delà de ce que l'éducation parentale ou scolaire peut et doit apporter. 


Une passion créatrice non déviante doit donc survivre à la défection de l'environnement, à sa dislocation éventuelle. Elle permet alors à la personne de construire le sens de son existence. 


Car la vie n'a d'autre sens que celui que chacun s'invente. 


Que ce soit notre nature ou notre histoire, selon qu'on soit essentialiste ou existentialiste, ou un peu des deux lorsqu'on est prudent, nous portons en nous cet instinct créateur et notre  manière unique et personnelle de l'épanouir. Chaplin a dit que la vie est un désir et non un fait. La vie est en effet un désir, une volonté tendue vers cet accomplissement d'un instinct créateur unique à chacun.


C'est boire à une eau intarissable que de rechercher en soi ce monde caché, cette jungle infinie dans lequel nous entraîne la poursuite de l'instinct créateur. Sans cette dimension magique, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. 


La volonté de puissance, si chère à Nietzsche, n'est en elle-même qu'une déviation de l'instinct créateur. Elle exprime un désir d'agir sur l'environnement; c'est une déviation dans la mesure où la volonté de puissance conduit rarement en elle-même à une activité créatrice. Le pouvoir n'est qu'un moyen, et non une fin en soi. Rechercher le pouvoir pour accomplir une vision politique peut être une manière d'assouvir son instinct créateur. Rechercher le pouvoir pour lui-même ne peut conduire à aucun assouvissement: c'est une façon d'accumuler les moyens d'agir sans jamais oser l'utiliser, de peur de le perdre. Cette attitude est similaire à celle de l'avare qui accumule de l'or sans jamais l'utiliser.


Il est indispensable pour pouvoir se consacrer pleinement à son désir créateur d'en finir avec le mythe des créateurs en tant que caste particulière d'élus au sein de l'humanité. Il est fréquent que les certaines personnes soient étiquetées "créatifs" ou "artistes" soient dès lors  considérées comme exceptionnelles par leur entourage "non-créatif". La divinité du créateur est peut-être liée à notre culture religieuse, mais elle est en tous cas potentiellement inhibitrice chez ceux dont les pulsions créatrices sont encore trop timides.


Si les civilisations eurasiennes ont longtemps méprisé l'artiste, notre civilisation occidentale dominante elle en a fait une icône servant ses deux valeurs fondamentales : la consommation et le spectacle. Cette déification de l'artiste à travers le vedettariat se retrouve au niveau individuel par une tendance accrue à placer toute personne dotée d'une prétention artistique d'une aura particulière, jusqu'à Goldman qui remercie les filles faciles qui se donnent "pour quelques accords de guitare".


Finissons-en avec les créateurs et ceux qui les utilisent, et affirmons la nécessité pour chacun de trouver son filon (ou ses filons) créateur et de s'y engouffrer pleinement, sans la conscience préétablie de n'être pas de cette nouvelle Race des Seigneurs que seraient les "créatifs".

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