mercredi 30 mai 2012

Ειδήσεις από την Κρήτη (Nouvelles de Crète)

Les oiseaux de mauvais augure et les Cassandres amères avaient donc raison : la crise économique a en effet transformé la Grèce en un vaste champ de ruines où seules quelques vieilles pierres témoignent encore d'un passé prospère.


Ô vision d'apocalypse! Ô terreur ineffable! Ô lyrisme logorrhique!


Dès les premiers instants j'aurais dû savoir que tout était perdu et que mon désir de revoir la patrie de mon arrière-grand-père, plus précisément la Crète, terre de l'écrivain Nikos Kazantzakis, en honneur duquel je fus appelé Nikos au demeurant, Nikos Yannis Dimitri de tous mes prénoms, histoire de bien mettre les points sur les iotas même si on ne met pas de point sur les iotas alors disons les esprits pour les philhellènes parmi vous, mais même ça ils ne les mettent plus non plus depuis la réforme orthographique...enfin bref... que ce désir donc n'était inspiré que par le chant des sirènes de la nostalgie enfantine qui allaient m'entraîner vers les impitoyables remoux d'une mer furieuse!


Dès le début, vous dis-je, les mauvais présages ne faisaient que s'accumuler! Ainsi, ayant malencontreusement oublié notre trousse de toilette nous décidâmes de faire l'achat de quelques babioles dans la salle d'embarquement de l'aéroport, telles que de la crème solaire ou une brosse à dents. Nous n'avions que quelques instants devant nous car les agents de sécurité avaient pris beaucoup de temps pour nous délester des couteaux que nous portions cachés dans les talons de nos chaussures et des bâtons de dynamite que nous portions entre les jambes (sans allusion grivoise merci). Las! Devant nous un transsexuel aux pomettes et lèvres refaites telles un succédané des Frères Bogdanov faisait lui-même quelques emplettes. Nous obervions avec angoisse la vendeuse enregistrer avec une lenteur (calculée certainement!) une farandole de ces magazines dits "féminins" (j'ai pourtant essayé de les faire se reproduire avec des magazines dits "masculins" mais ça n'a rien donné, mais peut-être que ça ne marche pas en captivité), fanradole qui n'en finissait pas... Vogue la galère, Marie-Germaine, Foufoune actuelle, Fenêtres et doubles vitrages... Bon c'est fini là, elle va payer et... Ah non : Décoration et jardinage, Cuisine moderne... Cette fois ça ira non? Toujours pas! Caniches et yorkshires... Et les derniers passagers embarquent... Une vision de cauchemar conclut ce sinistre augure : je m'attendais à voir une pomme d'Adam sur la gorge de la créature, et quelle ne fut point
ma stupeur en constatant qu'il n'y en avait point! Comment diantre? Pouvait-il s'agir d'une véritable femme, qui n'aurait point eu l'excuse de la transsexualité pour se muer en une telle caricature? Terrifiante perspective qui aurait dû m'acculer à une fuite aussi prompte que précipitée. La peste soit de ma nature insouciante et optimiste!


Ô terre ravagée où souffle le vent de la damnation financière! Ô malédiction de l'ire des Titans Bruxellois! Ô fin de l'Âge d'Or!


Que reste-t-il de l'altière civilisation minoïenne qui régna sur cette île, commerçant avec l'Égypte et les Celtes, et dont les femmes allaient fièrement vêtues de robes laissant voir leurs seins nus? D'où viennent donc ces bandes de barbares adolescents si étrangement semblables à ceux qui hantent en groupes hagards et bruyants les lieux maléfiques de nos contrées tels que le centre commercial de Vélizy?
Seules les coiffures gélifiées en ressemblance grotesque d'une iroquoise mal assumée sont une hideuse innovation que j'espère ne jamais avoir à croiser dans les ruelles de ma lointaine banlieue, car mes pulsions meurtrières soumettent déjà ce qui me reste de raison chancelante
à des assauts continuels, et je ne sais si je supporterai cet ultime affront à mon sens esthétique.


Que reste-il de ces jeunes gens aux longs cheveux noirs parés de vêtements aux couleurs vives que l'on peut voir sur les fresques du palais de Cnossos
ou dans les salles du musée d'Héraklion en réfection depuis 2006 et dont nous ne pûmes voir qu'une petite partie de la collection dans deux locaux mal éclairées qui ressemblaient plus à des parkings souterrains qu'à des salles de musée et que d'abord c'est pas juste c'est vrai quoi à la fin?


Que reste-t-il des Curètes, qui protégèrent jadis Zeus encore enfant du courroux meurtrier de son père Cronos? Que reste-t-il des chants et des danses par lesquelles ils couvraient les cris du divin nourrison en entrechoquant leurs lances et leurs boucliers? Où donc Amalthée allaita le fils de Rhéa promis au destin grandiose de régner sur l'Olympe et de trousser nymphes et mortelles sous forme de cygne, de taureau ou de pluie d'or? Faut-il chercher dans ces métamorphoses successives le signe d'un profond malaise psychologique engendré par le rejet de son père et dans ces conquêtes systématiques une fuite en avant à la recherche d'une impossible virilité?


Ô questions sans réponse! Ô testicules de Cronos qui jadis engendrèrent Aphrodite en tombant dans la Mer Égée! Que de grandeur et de misère furent à l'origine de ces roubignolles titanesques retournant à Gaïa!


Les remparts que les Vénitiens bâtirent naguère autour d'Héraklion ne suffisent-ils donc plus? Pour quelle guerre future prépare-t-on ces fortifications de béton le long des côtes crétoises découpées comme une dentelle aride de rochers multicolores face à une mer d'un bleu trop doux et trop profond pour ne pas dissimuler quelque menace indicible?
 Pour quel mystérieux adversaire a-t-on recruté ces armées de mercenaires étrangers, souvent issus de loitaines peuplades germaniques et anglo-saxons connues pour leur férocité guerrière, reconnaissables à leur uniforme composé de shorts et de sandales, qui habitent ces forts dans l'attente d'on ne sait quel raz-de-marée?


Quels secrets inavouables cachent ces collines recouvertes d'orangers et d'oliviers? Quelle guerilla motagnarde invisible a piégé ces routes en lacets aux interminables méandres en les truffant de nids-de-poule? Quel avertissement funèbre recèlent les chapelles votives qui poussent sur le bas-côté comme autant de demeures pour des saints décidément de fort petite taille, ou les statues des Capetans qui jadis affrontèrent l'occupant turc? Et qui dressa à l'attaque ces chèvres-kamikazes qui paissent en apparence en liberté à peu près n'importe où? Faut-il lire un sursis dans leur regard caprin lorsqu'elles se contentent  de vous regarder passer sous le blindage dérisoire d'une voiture de location?


Ô cruel souvenir des petites souvlaki, ces minuscules brochettes qui jadis se vendaient partout! Ô retrouvailles avec les pots de yaourt de brebis de mon enfance, sans doute piège de plus pour endormir ma vigilance!


Entraîné malgré moi par le vent de panique qui souffle sur ces terres maudites je cédai à l'impulsion de transformer quelques-uns desultimes euros qui sans doute auront cours avant que les paquets de cigarettes, les tiropitas au fromage et les pots de miel s'imposent comme nouvelle monnaie, en métaux précieux sous forme d'une bague qui orne désormais la main de Sandy. Sage investissement en un pays où la chevelure blonde vénitienne de ma celtique compagne nous assura maintes ristournes et plats gratuits.
Jadis c'était le gamin blond que j'étais (si, si, j'ai des photos pour le prouver) qui permettait à mes parents de manger à l'œil à peu près partout. La boucle (blonde) est donc bouclée. D'ailleurs les Hellènes adorent manifestement les enfants toujours autant.


Ô retour de cette si brève escapade! Ô temps fugace! Ô reprise du taf!

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